Plume à plume
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Plume à plume

Cercle littéraire entre copains.
 
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 525 600 minutes - Kay

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Kay
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MessageSujet: 525 600 minutes - Kay   525 600 minutes - Kay Icon_minitimeDim 14 Déc 2008 - 2:07

L'instant même


C’est ma première fois ici. Je suis un peu nerveux. Ben, pas mal, en fait. Je m’appelle Adrien. Mais ça n’a pas vraiment d’importance. J’aurais pu être Jules, Paul, ou même Ignacio. Ce qui m’arrive aujourd’hui me serait quand même arrivé. Je ne sais pas par où commencer. Je ne sais pas même s’il y a vraiment une raison derrière tout ça. Je ne crois pas en Dieu. Du moins, pas totalement.

Il y a sûrement quelqu’un là-haut qui tire les ficelles, quelqu’un qui a un plan, un vrai. Peut-être même qu’il s’appelle Dieu. J’aimerais croire qu’il est amour, qu’il donne une chance à tous, qu’il est miséricordieux. Je me suis même surpris à prier l’autre jour, juste avant de m’endormir. Je me demande s’il y a quelqu’un qui m’écoutait, même si personne ne me répondait.

Mes amis m’ont forcé à venir ici. Au début, je n’ai pas voulu. Maintenant, je ne sais pas. Je crois que ça leur donne bonne conscience de me savoir ici. Avec vous, avec des gens comme moi. Ils ne savent ni quoi faire ni quoi dire ni comment agir. Alors ils font comme si de rien n’était. Peut-être parce qu’ils ont l’impression que, moi aussi, c’est ce que je fais.

C’est sûrement notre première réaction à tous, fermer les yeux jusqu’à ce que ça passe. Moi, en tout cas, ça n’a pas marché longtemps. J’ai vite dû comprendre que ce qui m’arrivait arrivait réellement. Que ce n’était pas seulement un cauchemar dont j’allais me réveiller à tout moment.

Je n’ai pas encore dit ce que j’ai, ou pourquoi je suis ici. Ce n’est pas que je m’en cache, mais je ne crois pas que c’est ce qui nous détermine. Ce n’est pas non plus le métier que nous exerçons ni les études que nous avons faites. J’accepte maintenant mon sort. J’accepte que rien de ce que je peux faire ou dire va changer la fin.

Parce qu’il y a une fin, oui. J’ai le cancer. Ce n’est pas très original. Si j’avais pu choisir la façon dont j’allais mourir, j’aurais choisi quelque chose de plus exotique. On m’a dit qu’il me restait moins d’un an à vivre. J’aurais aimé qu’on me dise quand, et qu’on ne me le dise jamais tout à la fois.

Ma vie d’avant n’avait pourtant rien de spécial. L’an passé, j’avais 24 ans. J’habitais un appart qui donnait sur la 3ème dans Limoilou. On avait un balcon et on y prenait le premier café du matin. On ne faisait pas le ménage, sauf quand les parents venaient faire un tour. Les miens ne venaient jamais. La cuisine était grande et jaune. La peinture craquelait comme si c’était une toile du 15ème.

J’allais au cinéma avec mes amis, j’aimais la bière, je lisais les journaux, je pestais contre les Conservateurs. La fin de semaine, j’étais serveur dans un bistro. Le reste, un écrivain qui aspirait à beaucoup, dont peu s’était réalisé. J’ai réussi à me faire publier dans une revue deux ou trois fois, gagné quelques concours ici et là. J’ai même écrit le scénario d’un film, mais qui n’a jamais vu le jour.

La première fois qu’on m’a dit que j’étais malade, c’était un lundi. Il neigeait dehors. Je m’en rappelle comme si c’était ce matin. Tu sors de là complètement sonné, comme si on t’avait mis KO. Déjà, tu n’es plus le même que tu étais en entrant. Quelque chose a changé en toi, tu ne sais pas ce que c’est. Ce n’est pas seulement ce truc qui te dévore de l’intérieur, c’est tellement plus.

Peut-être que j’aurais aimé savoir quand le tour se finirait. J’aurais pu…prévoir. J’aurais pu faire un tas d’autres trucs, ou faire différemment. On dit tous ça, et pourtant, est-ce qu’on le ferait vraiment? C’est drôle. On ne peut pas savoir avant. On ne peut pas savoir après. Certains disent que c’est ça, la beauté de la vie.

Moi, avant, j’aurais aimé que la vie m’en donne plus. Je n’avais eu que des miettes. C’était trop court. On me disait qu’il fallait vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Des jours, j’essayais, d’autres, non. Je ne sais toujours pas ce qui est le mieux. Faire comme avant, ou ne rien faire du tout.

Mes parents me téléphonaient encore moins qu’avant. Je ne leur en ai jamais voulu. Ils ne savaient pas comment agir avec ça, c’était normal. Avec les copains, on avait des soirées tous les vendredis. J’appréciais l’effort qu’ils faisaient. Ça devait être dur pour eux. Être confronté à la mort à notre âge, ce n’est pas facile, pas facile du tout.

Moi, j’ai dû apprendre à faire avec. Je n’y peux rien, ça s’est inscrit dans ma chair. Ça fait partie de moi maintenant. Ça m’a pris du temps avant de l’accepter. Quand on te dit que ta vie va s’achever au quart de siècle, c’est normal de mal le prendre, ou de ne pas le prendre du tout.

C’était un jour de mars. J’ai toujours trouvé que mars est l’un des mois les plus laids à Québec. C’est un mois… sale. J’étais avec Céline au bistro. Oui, je travaillais encore. Ça m’occupait, ça me changeait les idées. Elle venait juste de fermer la caisse. On s’est pris un dernier café, avant de mettre la clé.

Je ne me souviens pas de ce qu’elle m’a dit. Ce n’était pas vraiment important. Mais elle a posé sa main sur la mienne et c’est à ce moment que je me suis senti vivre pour la première fois depuis décembre. Ça m’a électrocuté, mes neurones ont court-circuité. J’ai serré sa main, fort, comme si ma vie en dépendait. Quand je ferme les yeux, je peux encore voir les siens qui brillent dans la pénombre, ses joues rougies, ses lèvres. Céline.

Ce jour-là, c’était un de ces fameux « derniers jours ». J’ai tout misé. J’ai posé mes lèvres sur les siennes. Délicatement. Comme si j’avais peur qu’elle s’en rende compte. C’était chaud. C’était bon. Et le reste s’est passé comme dans un film. Je l’ai raccompagnée chez elle, et on s’est endormis sur le divan, lovés l’un contre l’autre. C’était la plus belle soirée de ma vie.

C’est ce qui m’a décidé aussi. Le lendemain, je lui ai laissé une lettre. Il n’y avait pas de larmes, de cris ni même de courses folles dans un aéroport. Je suis rentré chez moi, j’ai plié bagages et je suis sorti de ma vie. Je n’ai pas regardé derrière.

J’ai fait du pouce jusqu’à Montréal. J’ai rencontré un type sympa qui m’a payé un souper au resto du coin. Il m’a dit que je devrais vraiment m’en aller. Il m’a convaincu de tout laisser derrière moi, jusqu’à mon pays, mon identité. Quand on s’est quittés à la fin de la soirée, j’étais en paix. Deux jours plus tard, je prenais l’avion qui se rendait à Paris.

Me voici. Maintenant, je suis quelqu’un parmi tant d’autres. Je ne suis qu’un visage dans une foule. Je suis aussi normal que le voisin du 7ème ou que la dame qui habite en haut de la petite pâtisserie. Je ne sais toujours pas comment rouler une pelle, ni même un patin, ou comment ramener sa fraise. Mais j’apprends. Je prends mon temps. C’est mon droit, après tout.

Je ne cherche pas l’amour, je ne cherche pas la reconnaissance. Je ne désire rien, si ce n’est que de voir la rosée du matin, ou d’entendre les cigales fredonner. Je prends chaque jour comme il l’est. Je ne veux plus prévoir. Je ne veux plus savoir. Je veux juste découvrir.

On m’appelle encore Adrien, mais je suis aussi Jules, Paul et Ignacio. Je n’ai pas eu de nouvelles de mes parents, de mes amis à Québec, ou de Céline. Je n’en demande pas. J’aime avoir cette dualité dans ma vie. J’aime penser à ce que j’étais avant, à ce que je faisais. C’est comme si je croisais par hasard un vieil ami dans la rue ou dans un café.

Oui, je pleure des fois. Ça m’arrive de crier, de paniquer. Je n’ai pas toujours la force de continuer. Mais chaque jour est nouveau, comme si on recommençait toujours à neuf. Je ne sais pas si le cancer, Dieu ou la vie peut donner une deuxième chance mais, moi, je m’en accorde une à chaque aube. Je me donne le droit de faire des erreurs, d’être impuissant ou de me fâcher. Plus que tout, je m’autorise à continuer.

J’aimerais apprendre à vous connaître, écouter vos histoires, partager nos peines, mais je ne reviendrai pas la semaine prochaine. C’est égoïste de ma part, je l’avoue. Ça m’a fait du bien de venir ici, de pouvoir vous parler sans censure, sans faire semblant, en sachant que vous comprendriez parce que vous vivez la même chose.

C’est parce que je ne crois pas qu’on devrait s’isoler. Je crois qu’on devrait voir le monde, changer d’air, se mêler aux autres. C’est ce que j’ai fait, mais peut-être que ça ne convient pas à tout le monde. Je n’en sais rien. Je suis plutôt nombriliste pour ça.

Maintenant, j’ai un vide autour de moi, mais c’est un bon vide. Je vis, mais je ne veux pas vivre. Pour moi, c’est quelque chose qui appartient au présent, et non au si, au peut-être, au avec de la chance.

Je m’appelle Adrien et j’ai le cancer. Je n’ai plus d’âge, le temps passe, mais ne défile pas. En décembre, on m’a dit qu’il me restait moins d’un an à vivre. C’est le 24 octobre aujourd’hui. J’entends le sable s’écouler dans ma tête, mais je n’ai plus peur.

Si je suis au bout d' la route
De ma vie beaucoup trop courte
Je partirai quand même en paix
Sans éprouver de regrets



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J'ai piqué le titre à la maison d'édition, et la strophe aux Cowboys fringants.
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